Emballages Magazine : Votre vision du commerce des machine d’emballage est assez iconoclaste. C’est pourtant un milieu que vous connaissez bien. Pouvez-vous brièvement nous évoquer votre parcours ?
Emmanuel Vitoux : Il est vrai que je suis, pour ainsi dire, né dedans. J’ai commencé en 1982 chez Virey Garnier dans l’étiquetage, puis chez Zalkin, où j’ai passé près d’une décennie auprès d’un Pdg qui m’a enseigné la droiture commerciale et la passion de la mécanique. Puis mon parcours m’a amené à intégrer des sociétés comme KHS, Aries, GEA ou encore BHS dans la plupart des cas pour recouvrir des missions managériales et de direction commerciale. L’histoire avec ADV Packaging remonte à 1996, c’est une société britannique que j’ai cofondée, spécialisée au départ dans l’engineering pour le froid et le conditionnement qui a ensuite évolué dans le négoce de machines en se liant avec le constructeur de remplisseuses italien AVE Industries. J’ai quitté l’entreprise dans les années 2000 pour fonder une famille en France. Vingt ans plus tard, j’ai eu l’opportunité de racheter les parts à la famille du propriétaire récemment décédé. Nous avons relocalisé l’entreprise en France et relançons maintenant son activité, avec une demi-douzaine de marques à forte notoriété, essentiellement dans le secteur du conditionnement des liquides, mais notre vocation n’est pas d’être un simple distributeur…
Que vous voulez faire de plus ?
Nous avons été qualifiés de Harrod’s du matériel de conditionnement par un de nos clients. Situés en France ou à l’international, nos clients viennent chez nous pour trouver des solutions techniques à des problématiques de production ou de configuration complexes. Notre spectre d’activité couvre les cadences comprises entre 500 et 90 000 bouteilles ou produits par heure. Les produits liquides représentent 70% de notre activité, mais nous avons une excellente implantation dans la pharmacie, la cosmétique et la pâtisserie industrielle. L’objectif n’est pas uniquement de vendre les machines, mais de fournir l’équipement avec lequel ils feront face à tous les développements de leur service marketing dans les dix prochaines années ! Aider les clients à les acheter, à servir d’interface avec les constructeurs, à faire en sorte que les machines soient développées pour répondre à leurs réels besoins. C’est en cela que nous nous différencions d’un distributeur. L’expérience prouve, malheureusement, que trop souvent les machines sont soit surdimensionnées, soit livrées avec des gadgets inutiles, notamment en matière d’automatisation. Il faut aussi adapter l’offre aux réalités de certains pays. Une machine développée pour l’Allemagne ou la France, devra être adaptée pour l’Afrique tropicale et conditionner du beurre de karité avec une température de 40°C et un taux d’humidité proche de 100%.
Comment allez-vous procéder ?
Antoine de Saint-Exupéry disait : « La perfection est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer ». Tout commence par la compréhension des besoins du client. Quand celui-ci exprime un besoin clair, "l'étouffer" sous un feu d’artifice d’options et de suppléments inutiles ne sert à rien, si ce n’est à disqualifier le fournisseur ou le forcer à accepter d’effectuer de grosses remises pour rester en course. Nous voulons ensuite recouvrir un rôle de conseil, qui existe encore peu en réalité dans ce métier, avec une véritable vision d’ensemble. Pourquoi casser les murs d’une usine pour rentrer une ligne si, en tournant un peu moins vite on évite ces frais supplémentaires ? De nombreux clients sont focalisés par le fait de produire plus vite et ne se projettent pas obligatoirement au-delà des contraintes quotidiennes. La machine que le client achète aujourd’hui, doit être capable d’absorber les défis de production dans cinq ou dix ans.
Vous évoquez l’automatisation, c’est aujourd'hui une tendance réelle dans les machines qui répond d’ailleurs à des besoins en termes de flexibilité, de changements de format, de maintenance et de dépannage. Dans quelle mesure cela constitue-t-il un gadget inutile ?
Les gadgets sont la résultante d’une mauvaise discussion et compréhension entre un client hésitant se retranchant derrière un cahier des charges et des commerciaux qui répondent aux cahiers des charges par une surenchère technologique « des fois que le concurrent propose un truc de plus ». Plus généralement, les constructeurs de machines ont tendance à intégrer toujours plus de technologie dans leurs produits et c’est bien normal. D’ailleurs beaucoup de clients en tirent profit. Mais ce qui est vrai en France ne le sera pas au Kenya ou en Côte d’Ivoire. En Afrique, où nous sommes présents, à l’exception des grands groupes qui sont structurés « à l’européenne », cela n’a aucun sens de proposer une machine bardée de servomoteurs, alors que dans certains endroits il y a des coupures d’électricité à répétition et que le premier revendeur de moteurs se situe à 2000 km de là. Une came avec un galet fait davantage l’affaire. Mais cela, beaucoup de constructeurs ne veulent pas en entendre parler, le retour en arrière est difficile, car les mécaniciens sont progressivement remplacés par des automaticiens.
D’expérience, il est quand même compliqué de demander à un constructeur de brider ses machines ou de les modifier. Comment appréhendez-vous cette problématique ?
Nos fournisseurs partenaires sortent un peu des schémas établis. Nous travaillons avec des marques qui acceptent culturellement notre raisonnement, à l’image des italiens Newpack et Bertuzzi, respectivement présents dans les lignes complètes pour le conditionnement form-fill-seal (FFS) et le process alimentaire, ou encore Della Toffola qui fabrique des pressoirs, et AVE Industries, mais il y a également des américains comme M&O Perry Industries dans l’industrie pharmaceutique et les vaccins, Farason Corporation ou CFT Robotics ou même Schubert dans les robots ou encore l’allemand VMS spécialisé dans le remplissage aseptique.
Vous employez une quinzaine de personnes en France, mais vous réalisez 60% de votre chiffre d’affaires à l’export, notamment en Afrique. Comment opérez-vous sur les marchés lointains ?
Nous sommes présents dans quatorze pays au travers d’un réseau de concessionnaires. Il s’agit d’entreprises locales, capables d’intervenir dans les deux heures. Tout passe par eux, de la gestion de la commande à l’installation de la machine chez le client en passant par la réception et surtout le suivi après vente. C’est très important pour un industriel d’avoir un interlocuteur à proximité immédiate. En Afrique, beaucoup de clients se sentent délaissés par les équipementiers européens qui se contentent de vendre sans suivre leurs clients sur la durée. Aussi, beaucoup de sociétés de ces pays se sont laissé attirer par les fournisseurs chinois, indiens et turcs et en paient aujourd’hui les conséquences.
Et pourquoi cette offre ne convient-elle pas ?
Ce n’est pas tellement la question du "low cost". Certains industriels sont victimes de véritables rackets. Ils achètent une machine qui nécessite des mises à jour. On leur demande ensuite de payer entre 500 à 2000 euros par carte bancaire pour chaque mise à jour et pour pouvoir travailler. Dans le domaine des ensacheuses verticales form-fill-seal (FFS), la durée de vie d’un constructeur chinois ne dépasse pas les trois ans en moyenne. C’est très dur ensuite de faire un suivi, de se procurer des pièces. La plupart de ces machines sont irréparables. Il faut se mettre à la place de ces clients, c’est pénible. Nous voulons changer les choses et en même temps agir comme dernière ligne de défense des fabricants français et européens face à la poussée de ces constructeurs.
Propos recueillis par Tiziano Polito
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